Wednesday, December 07, 2005

Le défi du Potier extraits...

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En quoi consiste l'excellence que nous reconnaissons aux meubles de chêne, au fer forgé, à un édifice tel que Chartres, à la poterie médiévale? Ces choses n'ont pas été réalisées par des hommes de génie ; elles ont été faites par d'illustres inconnus qui pouvaient être de bons tailleurs de pierre ou menuisiers, potiers, forgerons, etc... C'était une contribution communale, et elle fournit un précédent.

Elle nous dit aujourd'hui qu'il doit y avoir un moyen grâce auquel l'homme normalement ou peu doué peut faire quelque chose de sa vie quelque chose de valable. Cela n'est pas facile car notre temps est très différent de celui qui produisit les esprits plus simples du Moyen Age. Ces hommes n'étaient pas des liseurs, ils n'avaient pas le monde entier dans leur salon. c'étaient des gens qui se transmettaient la recette du travail bien fait, à la manière des familles des fermiers, de génération en génération.

Nous ne sommes plus ce genre de personnes. Nous sommes individualistes et nous avons produit ce que nous appelons des artistes. Quel en est le résultat? Le résultat est que les métiers artisanaux ont été laissés de côté, ou au rang des Beaux-arts, et que le nombre de gens qui perceront est très réduit.

Nous ne sommes plus des paysans, mais cela veut-il dire que nous devons tous aspirer à des expositions personnelles dans les meilleurs galeries? Je ne pense pas que ce soit le but à rechercher. Nous souhaitons trouver un mode d'expression équilibré, et la poterie est aujourd'hui, une des rares activités où une personne peut utiliser les facultés naturelles de son esprit, de son coeur, et de sa main, de façon équilibrée.
Si le potier fabrique des objets utilitaires - de simples bols, cruches, chopes et assiettes -, il fait deux choses en même temps : il fabrique des ustensiles dont l'utilisation peut procurer du plaisir en même temps qu'elle fournit une forme de satisfaction à l'artisan, et il s'engage dans l'éternelle recherche de la perfection de la forme, qui procure une satisfaction différente. Quand ces deux activités se rencontrent et quand le potier fait corps avec l'argile, la poterie est douée de vie.
Si nous considérons les poteries que nous tenons pour les plus belles - poteries coréennes de la dynastie Li, et chinoises de l'époque Song -cette qualité de vie émèrge de ce qui était essentiellement un travail de répétition. Ces bols à riz et à soupe que nous admirons étaient fabriqués par milliers.
A la poterie Leach, où nous avons d'habitude plusieurs apprentis potiers, j'ai toujours dit qu'en façonnant à la main beaucoup de poteries similaires (d'une forme que l'on aime), une expansion de l'ésprit véritable aux dépens du moi secondaire se produira forcément. Il y a deux parties en chacun de nous : l'homme superficiel préoccupé par le paraître, qui pense ce qu'on lui a appris à penser - et l'homme véritable qui est sensible à la Nature et recherche la vie dans son travail.

Comment le travail de répétition entre-t-il donc dans les projets des jeunes potiers d'aujourd'hui ? Ceux-ci sont si épris d'originalité, ils veulent tellement être des artistes, que l'acceptation du travail au nom de la vie a été perdue. Le potier d'aujourd'hui espère produire quelque chose d'analogue à la Joconde. Celui qui s'intéresse à la musique s'éstime d'habitude satisfait d'être violoniste, mais le potier veut être compositeur, premier violon et chef d'orchestre.
Au Japon la beauté a toujours été liée à l'humilité, et les meilleurs potiers sont parmi les plus humbles qui ne cherchent pas à se mettre en valeur en exposant une étagère de poteries toutes absolument différentes de couleurs et de formes.
FAire du travail de répétition c'est comme faire du bon pain. Voilà ce que c'est. Et bien qu'on fasse un travail de répétition, cela ne veut pas dire ennui, rien n'est jamais tout à fait pareil, ni ne peut jamais l'être. Voilà où se trouve le plaisir.
Un jeune potier peut dire que puisqu'une machine peut fabriquer des objets répétés et identiques, à quoi bon essayer de faire la même chose à la main? La réponse est qu'en dehors du rythme et de la méthode de travail qui se développent chez le potier, il y a une quantité surprenante de gens qui veulent être contents de se servir d'une cruche et qui ne peuvent pas goûter ce genre de joie si l'homme qui a produit la cruche ne l'a pas vraiment créée n'a pas eu de joie à la façonner.
Comment la joie peut-elle entrer dans un objet fabriqué en usine? Nous avons besoin de cette joie. Elle répond aux besoins d'un coeur affamé, tant chez l'artisan que chez l'utilisateur. Il nous faut trouver un moyen de fournir cette prime à tous les gens de ce monde. Il faut un élément de choix et le jeu de l'imagination. Pensez aux heures que les femmes ont passées à faire du tricot ou mitonner des plats. Elles y trouvaient non seulement un travail mais aussi du plaisir et de la satisfaction. La répétition chez le potier qui façonne à la main est d'un même nature.
On forme des gens pour effectuer un travail de bureau, ces gens peuvent être qualifiés et aimer leur métier ; cependant, plus le travail sera mécanique, plus le monde va connaitre la rébellion. Cela n'est pas dire qu'il faut bannir la machine, qu'elle est l'incarnation du diable. Non. Elle est essentielle à notre vie, mais la machine reste toujours du côté froid de l'homme.
C'est la différence qu'il y a entre des cuillères en argent fabriquées par une machine et celles qui on été battues à la main. Je pense que c'est le caractère spécifique de la machine, le caractère inhumain, qui pousse des centaines de milliers de gens à revenir à l'argile.

Le monde moderne est devenu trop intellectuel, il a perdu une grande partie de sa naïveté. Par le terme "naïveté" j'entends une qualité, dans ce qu'elle a de meilleur, qui appartient surtout au peuple coréen, et qui fait que je préfère sa poterie à tout autre. Nous ne sommes plus des gens naïfs.
Sur mon bureau se trouvent toujours deux bols. L'un est pratiquement la dernière poterie que j'ai faite, l'autre est un bol coréen pour le riz. Par rapport à lui, mon bol est élégant, sa valeur marchande est environ 75 dollars. Le bol coréen coûte sans doute moins d'un penny bien qu'il vaille maintenant probablement autant que le mien en raison de sa rareté, et j'affirme que le bol coréen est le meilleur. Il est vrai que le mien est fort joli et que je ne pense pas qu'il soit mauvais, mais le bol coréen est né, le mien a été fait.
Il nous faut revenir à une forme de vie plus simple, une vie d'homme sur cette planète, où il n'est pas si satisfait du pétard qui menace de le faire sauter. Aujourd'hui, les gens ont honte de se mettre à genoux, mais ce que je demande aux gens, c'est de se prosterner devant la vie, l'essence et d'être humbles.
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Bernard Leach "le défi du potier"

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