Monday, August 06, 2007

Qu’est ce que la céramique ?

Beaucoup d’entre vous savent que je suis une céramiste, disons un peu dissidente : je n’utilise pas le tour, j’ai choisi de construire mes pièces à l’aide de colombins, c’est-à-dire des rouleaux d’argile, que je n’utilise d’ailleurs pas sous la forme de rouleaux (ce qui est une façon traditionnelle de construire au colombin) mais après les avoir préparés, je veux préciser : préformée en fonction de la forme que je veux obtenir. A la fin de notre réunion, je vous montrerai rapidement, mais aussi complètement que possible, ma manière de travailler. En faisant devant vous une démonstration, j’aurai toutes les chances de vous lasser, mon travail est lent, bien loin d’être aussi spectaculaire que celui du tourneur et, finalement, il ne repose que sur deux ou trois petits trucs manuels que vous saisirez rapidement, sur une longue expérience, une longue volonté et une orientation de la pensée bien précise qu’aucune démonstration ne saurait transmettre.
Puisque je ne peux souhaiter vous séduire par le brio de mon habileté manuelle, voulez-vous que nous fassions une sorte de voyage vers et a travers la céramique, du moins telle que je la conçois et, avant de l’entreprendre, me permettrez-vous de vous parler un instant d’autre chose ? Je voudrais tout d’abord vous remercier de votre accueil si chaleureux et le faire aussi de Bernard Leach dont je sais que le souvenir qu’il a emporté est aussi beau que celui que j’emporterai dans quelques jours. Merci donc à mes amis vénézuéliens, à ceux de longue date, à ceux que je viens de connaître, à ceux que j’ai a peine entrevus. Si nous avons pu, Bernard Leach, vous et moi nous reconnaître parfois sans nous connaître, c’est surtout parce que nous avions en commun un lieu de rencontre : l’amour et l’art. Je crois que l’on ne peut pas être artiste sans amour et que l’on ne peut pas plus être amateur sans aimer. C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés et c’est pourquoi je vous remercie encore.
Qu’est ce que la céramique ? C’est l’art (j’emplois ce mot dans le sens de « métier ») de transformer par le feu un certain nombre de matériaux. C’est plus particulièrement, celui de transformer l’argile, qui est souple et malléable, en une matière si durable que des pièces qui ont douze mille ans et plus ont pu nous parvenir intactes. Quand nous disons céramique aujourd’hui, nous entendons à la fois quelque chose de trop précis et de trop vague. De trop précis puisque, bien souvent, mous entendons par là les pièces cuites a basse température que nous distinguons ainsi du grès et de la porcelaine. De trop vague puisque nous y englobons l’art du potier, celui du sculpteur et, aussi bien celui de l’artiste ou de l’artisan qui orne les murs et recouvre le sol des bâtiments ou de nos maisons. Il serait bon, même nécessaire, aussi bien pour les créateurs que pour les amateurs, que nous trouvions un vocabulaire plus précis, du moins plus clair, et je veux tenter de vous expliquer pourquoi.
Je suis céramiste en ce sens que mon métier relève d’une technique qui est bien celle de la transformation de l’argile par le feu, mais bien plus, je suis « potier » - ce qui veut dire que j’ai choisi de tenter de m’exprimer a travers des objets dont le vide (et non la destination) me semble être l’élément primordial. C’est ce vide qui, par une force presque « respiratoire », va conditionner la forme ; c’est sous l’action de cette poussée intérieure que cette forme trouvera ses points de rencontre avec la lumière. Je ne dis pas que j’y parvienne toujours. C’est en tout cas ce vers quoi je tends, ce que je souhaite. Au point de rencontre de cette poussée et de la lumière va se trouver l’émail dont le rôle essentiel me semble être celui d’une vibration colorée. Cette vibration doit répondre à la lumière un peu comme la corde d’un instrument fait vibrer le son, la corde bien tendue, comme dois être tendue la ligne d’une « pièce ». Et la courbe, les courbes, la douceur de l’argile me direz-vous ? Je répondrai que la courbe la plus douce doit être tendue, car si elle ne l’est pas, elle n’est pas douce, elle est molle. Si j’étais sculpteur et céramiste, il me semble que mon se trouverait posé de manière inverse. Je devrais non pas rencontrer la lumière sous l’action d’une poussée intérieure mais au contraire, lui préparer une résistance, offrir un lieu de rencontre à sa poussée. Je devrais lui préparer des saillies et des creux pour qu’elle vienne frapper l’émail et le faire vibrer à la manière d’un instrument à percussion.
Il me semble évident que les problèmes que pose la création d’une grande surface murale en céramique sont encore d’une autre nature. Ils pourraient sembler proche de ceux du peintre, je les crois cependant bien différents. L’émail, comme la peinture, joue avec la lumière doit compter avec elle mais il l’absorbe et la renvoie d’une manière qui lui est tout a fait particulière, personnelle. La couleur, dans l’émail, et surtout sur une grande étendue, a une vibration bien plus forte que dans la peinture. Il ne s’agit plus là d’instruments à cordes ou a percussion, mais d’un immense ensemble orchestral qu’il faut diriger, maîtriser.
Je suis certaine que le céramiste tenté par le mur n’est pas, ou plutôt ne peut pas être tout à fait le même homme que celui qui, céramiste, pense sculpture ou que celui qui pense poterie. Bien entendu, et Dieu merci !, il y a des génies complexes, des artistes capables de vraie maîtrise dans des disciplines différentes, mais les Michel-Ange sont rares et, Michel-Ange ou pas, il importe de maîtriser avant de faire. Nous vivons un temps où le goût très répandu, trop répandu de l’éclectisme me semble avoir besoin de freins, et je crois qu’au moins dans le domaine de la céramique, la précision dans le vocabulaire, en délimitant les frontières, pourrait être l’un de ces freins.
J’ai tenu à insister sur la différence que l’établis entre la sculpture et la poterie en céramique, pour tenter de rendre plus claire une pensée qui a semblé étrange à certains d’entre vous et j’ajoute qu’en soulignant cette différence je ne sous-entends aucune espèce de hiérarchie. Je crois à la valeur de la sculpture en céramique, tout autant que je crois à celle de la poterie, mais je ne crois pas moins à la nécessité d’une compréhension profonde, approfondie même, des règles, des lois, de la pensée, de la nature même de ce qui fait d’une poterie une poterie et non une sculpture et vice versa.
Donc je suis-je veux être un « potier » et pourtant je suis bien souvent obligé de me dire céramiste parce qu’au terme potier dans ma langue tout comme dans la votre est attachée un idée presque péjorative : celle du fabricant d’objets rustiques paysans. Pourrons nous rendre à ce mot un sens noble sans implication péjorative? Devrons nous en inventer un autre? Ce sont des questions que je me pose en vous les posant et dont la réponse me semble tenir en grande partie à ce que nous faisons, à ce que nous ferons pour l’avenir de cette branche particulière de la céramique.
Ou bien, comme c’est trop souvent le cas et partout dans le monde, nous continuerons à assister à la floraison d’une foule d’objets sans âme, reflets de tout parce que ne reflétant rien, et qu’importe alors le mot qui désignera ces choses et leur auteur. Ou bien, peu à peu, un vrai art, je veux dire approfondi, ayant ses règles propres ; et les respectant, se dégagera et, sachant le reconnaître nous saurons le nommer sans équivoque possible.
Je voudrai maintenant tenter de définir les règles à partir desquelles le potier devrait aborder son aventure, aller à la recherche de son langage propre. Avant tout, il devra choisir ses ancêtres, je veux dire par là, choisir avec patience et lucidité, dans l’immense variété des techniques et des expressions qui lui sont offertes, celles qui pourront le mieux le nourrir, celles qui lui correspondront, celles qu’il pourra le plus profondément assimiler, jusqu’à en faire les moyens de son expression.
Tout, ou à peu près tout, à été dit et fait en céramique, à travers les siècles et à travers les civilisation et pourtant tout, ou à peu près tout, est encore à faire et à dire si l’on veut bien s’appuyer sur l’enseignement du passé pour prendre son élan. Aucune forme d’art ne saurait naître, un jour quelconque de notre siècle, dans la tête d’un homme isolé. Nous devons nous choisir des ancêtres et regarder leurs œuvres avec assez d’intensité pour les voir. Les voir assez pour les comprendre et, les ayant comprises, nous sentir assez forts pour aller de l’avant. Ai-je besoin de dire que le potier devra aussi s’ouvrir à toutes les formes de l’art ? La peinture, la sculpture, comme la poésie et la danse, lui seront des sources non moins indispensables à la formation de son expression.
Ayant ainsi, en quelque sorte, planté ses racines dans le passé, les ayant nourries de la tradition qu’il s’est choisie et de l’art sous toutes ses formes, le potier contemporain devra faire preuve de beaucoup d’exigence et de beaucoup d’honnêteté pour découvrir ce qu’il a à dire et comment il le dira, dans le monde où il vit, dans le temps qui est le sien, et non sous la pression de l’un ou de l’autre, ou comme une concession à l’un ou à l’autre.
Sachant ce qu’il veut dire, il lui faudra être capable de beaucoup de discrétion. Je disais l’autre jour que la poterie est un art du silence. C’est surtout une musique intime que l’on trahit dès que l’on tente d’en forcer la sonorité. L’argile, l’émail, à n’importe quelle température de cuisson, ont tendance à amplifier le moindre de nos mouvements, noter plue légère expression. Nous devons savoir leur imposer une sonorité juste et harmonieuse.
En pensant à ses formes, et parce que l’argile répond vite et fort, le potier devra tendre vers la simplicité de l’invention qu’il ne faut pas confondre avec la pauvreté de l’invention. Il devra sûrement choisir la subtilité plutôt que l’effet. S’il tourne, qu’il laisse à ses pièces l’empreinte du tour, sans ostentation. S’il modèle, qu’il ne cherche pas à le prouver, ses pièces se chargeront de le dire.
En pensant à l’émail, il devra le considérer comme le serviteur de sa forme. Plus ou moins brillant, plus ou moins opaque ou transparent plus ou moins mat et dur ou plu ou moins doux, l’émail ne devra ni masquer la forme, ni l’exalter ; il devra simplement lui répondre en être le vrai et juste habillement ? A ce propos, gardez vous de croire que l’émail, n’importe quel émail, soit une poudre quelconque qui s’achète n’importe où et supporte n’importe quel mélange avant d’être appliqué sur n’importe quoi. Si vous le préparez vous-même, le problème de vos rapports avec lui demeurera identique. L’émail n’est pas une poudre miracle ; c’est un de vos instruments de travail et vous devez le connaître et le maîtriser, le choisir aussi en fonction de ce que vous attendez de lui. Un émail médiocre bien employé peut donner de meilleurs résultats que le plus bel émail mal compris. Ne recherchez pas la variété ; tout comme un peintre, vous devez avoir votre palette, mais une palette que je vous conseille de vouloir aussi limitée que possible.
Et le décor ? Je souhaite qu’il soit abordé timidement, avec patience et pourquoi pas humilité. Décorer une pièce c’est lui ajouter un accent. Cet accent ne devrait être que lentement élaboré, choisi. Il doit être personnel et pour l’être, il doit être découvert par soi-même, avoir un poids, une mesure qui correspondent à leur auteur et à ses formes. Un décor, une simple tâche, peuvent ajouter à une forme, en souligner le mouvement, la douceur ou la force, la grâce ou la noblesse, mais il peut tout aussi bien l’immobiliser, la blesser ou la rendre ridicule ou vulgaire. J’ajoute que le décor est tentant, parce qu’il nous apparaît souvent, si nous ne prêtons pas assez d’attention à la poterie que nous regardons, comme son signe dominant, alors qu’il n’est, qu’il ne peut être que l’un de ses éléments.
Ma recette de la poterie, celle que je vous livre comme le plus cher de mes secrets, c’est patience, attention et amour. N’attendez pas les fleurs avant que la plante n’est pris force, avant que soit venu la saison de les cueillir.
Et la technique ? Je ne vous ai pas parlé de la technique ! Certes elle est indispensable : un mauvais tourneur ne peut sauf miracle, tourner une belle forme et modeler demande un long et sérieux apprentissage. Il faut donc acquérir le métier, mais pour pouvoir l’oublier, en ce sens que c’est quand les mains sont libres de l’effort, de l’application ou plus exactement de trop d’attention, qu’elles sont vraiment libres pour la création. Les techniques de l’émaillage sont simples, elles sont, plus que tout, une question d’entraînement pour, là encore, pouvoir atteindre la liberté. Quant à la chimie des émaux, je la crois utile, peut être indispensable, par la connaissance la plus profonde quelle nous donne de la matière, de ses possibilités, de ses impossibilités, des ses créations. Je veux donc vous dire en terminant : ne négligez pas la technique de votre métier, elle vous est indispensable, mais ne vous attendes pas à ce qu’elle vous livre tous les secrets de votre art. Elle n’en est que la servante. Les plus miraculeux secrets, croyez-moi, ils sont en vous et je vous souhaite, de tout mon cœur, toute la patience, toute la persévérance, toute la volonté et toute la foi pour les découvrir.

Francine Del Pierre.

Conférence au Museo de Bellas Artes
de Caracas, mai 1996.

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